Quelle cacophonie sur ce sujet actuellement !!
Le gouvernement justifie le report de l'âge légal de la retraite par l'augmentation de la durée de vie, qui a pour conséquence la baisse du ratio actifs/retraités. Il est vrai que l'on vit plus vieux, et aussi plus vieux en bonne santé, et que de ce point de vue travailler un peu plus tard ne parait pas scandaleux.
Mais d'un autre côté, quelles entreprises vont faire travailler les gens au-delà de 60 ans ? Le taux d'activité réel entre 55 et 60 ans aujourd'hui est déjà faible (58% (1)), autant dire qu'entre 60 et 65 il sera encore bien plus faible, malgré tous les discours yakafokon sur ce sujet. En pratique les gens arrêteront de travailler nettement plus tôt que l'âge légal, et toucheront donc des pensions inférieures à ce qu'elles sont aujourd'hui : c'est en fait le but non avoué de cette mesure.
Les retraités vont donc voir leur niveau de vie diminuer par rapport à celui des actifs. Il y a 40 ans les retraités avait un niveau de vie moyen très inférieur à celui des actifs, et il y avait de nombreux retraités pauvres. Aujourd'hui, le niveau de vie moyen des retraités a pratiquement rattrapé celui des actifs (2), ce qui à mon sens est une bonne chose quoi qu'on en dise. On est donc parti pour revenir en arrière sur ce point. Or c'est un débat qui est totalement occulté aujourd'hui alors qu'il est central : quel niveau de vie veut-on garantir aux retraités par rapport à celui des actifs ?
Si les pensions obtenues par le régime de répartition baissent, les gens qui le peuvent essaieront de compenser par une retraite par capitalisation: au lieu de payer plus de cotisations, ils "mettront de l'argent de côté" (enfin c'est ce qu'ils croient, mais l'argent est comme l'électricité : il ne se stocke pas, et ce sont toujours les actifs du moment qui font vivre les retraités).
Le ratio actifs/retraités ne se dégrade pas seulement à cause de l'augmentation de la durée de vie, mais aussi beaucoup à cause de notre structure démographique : les enfants du baby-boom commencent à arriver massivement à la retraite. Ben oui, les actifs du moment (j'en suis) n'ont pas de chance, ils ont et vont avoir de nombreux ascendants "sur les bras". Et alors ? La solidarité d'un régime par répartition veut que la richesse nationale continue à être partagée entre tout le monde, et moralement (oui, les grands mots) je ne vois pas pourquoi seuls les retraités devraient subir une baisse de niveau de vie si il doit y avoir une baisse. En d'autres termes il serait normal d'augmenter les cotisations dans un tel contexte, quitte à les rediminuer quand l'effet baby-boom s'atténuera.
Oui mais augmenter les cotisations c'est augmenter les charges sociales, donc pénaliser le travail par rapport aux pays avec des lois sociales moins développées que chez nous. C'est vrai aussi. D'où la position de jerlau sur le transfert des cotisations sociales vers la TVA.
Et pour passer le cap de l'effet baby-boom, ouvrir un peu les frontières pour faire rentrer des actifs jeunes pourrait peut-être faire du bien, non ? Mais là c'est pas dans l'air du temps. On y viendra peut-être quand on ne pourra plus faire autrement.
Enfin, et les syndicats insistent là-dessus, il me semble qu'une valeur de base d'un régime par répartition doit être la solidarité. Mais dans ce cas j'ai du mal à comprendre le maintien et la défense de N régimes spéciaux, qui ne font que nourrir des rancoeurs parce que les gens pensent à tort ou à raison que les autres sont favorisés dans tel ou tel régime. Un régime unique de répartition devrait être un préalable qui permettrait une bien meilleure acceptation des réformes. Par clientélisme les syndicats n'ont pas trop envie de mettre ce sujet sur la table, mais le pouvoir ne pousse pas non plus dans cette voie : maintenir des régimes différents permet de diviser la contestation en ne s'attaquant qu'à un régime à la fois.
(1) http://www.observatoire-retraites.org/index.php?id=251
(2) http://www.observatoire-retraites.org/i ... id=100&L=0